Atelier : Damien le magicien du cuir
Rencontre avec un compagnon
Présentation
Damien, qu’est-ce qui vous a amené à la maroquinerie ?
Si je repense à mes rêves d’enfant, à la base j’avais envie de devenir designer automobile… et je me suis donc tourné vers l’apprentissage par alternance avec les Compagnons du Devoir.
Dans ces métiers hautement artisanaux, il me semblait essentiel de gravir les échelons un à un pour vraiment comprendre la réalité du métier. Au fil de mon apprentissage avec les Compagnons du devoir, je me suis rendu compte que le métier de sellier maroquinier m’offrait en réalité plus de perspectives que designer automobile.
J’ai débuté mon « Tour de France » des Compagnons du devoir en tant que sellier maroquinier en 1997, j’avais 20 ans. La première ville d’apprentissage où je suis allé était Bordeaux, puis je suis vite parti à l’international vers le Royaume-Uni, l’Italie, la Belgique (pour Delvaux), la Suisse, le Maroc puis je suis revenu à Paris chez Louis Vuitton (design office et studio), et j’ai terminé mon « tour » auprès de la maison Céline à Londres.
Damien, le magicien du cuir
Les Compagnons du Devoir
Les étapes de l’apprentissage des Compagnons du devoir se déroulent en 3 grandes phases : la première en tant qu’Apprentis, puis une fois adopté par la communauté des compagnons en tant qu’Aspirant compagnon pour continuer sa formation, et une fois le chef d’œuvre réalisé le titre de Compagnon.
VOYAGE INITIATIQUE
Un voyage qui vous a inspiré – pourquoi ?
Mon tour de France des Compagnons du Devoir a été un voyage initiatique qui a été un tournant important pour le jeune homme que j’étais. Ce « tour de France » s’est principalement déroulé à l’étranger (malgré son nom) et j’ai eu la chance de rencontrer des personnes formidables qui sont restées mes amies, jusqu’à aujourd’hui. J’avais 20 ans quand j’ai commencé mon apprentissage, ce qui est très tard. En général les apprentis commencent à 14 ans.
UNE PASSION
Qu’est ce qui vous meut ?
Ce qui fait que j’aime mon métier ? … Le sourire sur le visage de mes clients quand je leur remets mes travaux. Je peux être inspiré par mille choses, ce sont en général plutôt des choses simples. Je fais confiance à mon imagination fertile pour m’inspirer. Par exemple, je suis capable de travailler le contre-collage d’un cuir en m’inspirant de la façon dont grimpe le lierre …
LE CHEF D'OEUVRE
Le parcours de compagnonnage nécessite la remise d’un « chef d’œuvre », parlez-nous du vôtre.
Pour mon chef d’œuvre, j’ai réalisé une valise écritoire de voyage. Elle était de couleur tan (camel), cousue à la main en blanc, avec une poignée tressée à 12 brins, des plateaux en alcantara et l’intérieur, elle était en cuir de couleur framboise écrasée. A l’extérieur, elle avait des empiècements aux coins, cousus en blanc, typiquement comme vous le voyez sur les malles anciennes de chez Hermès
PROJET HORS NORME
Parlez-nous d’un projet complètement fou auquel vous avez participé ?
J’ai produit une chaise longue dessinée par le designer Charlie Davidson. C’est vraiment une pièce unique, avec une assise longue en forme de corset, intégralement en cuir noir, intérieur rose, avec des pieds en talons aiguilles. Charlie Davidson a eu un mal fou à trouver un artisan qui puisse lui proposer un prototype, dès que j’ai vu le dessin, j’ai su comment réaliser cette pièce.
Sinon j’ai participé au développement de pièces sur-mesure sur des méga yacht et des super yacht. Nous avons réalisé des revêtements en cuir pour : des panneaux muraux, des sols et des rampes d’escalier, des panneaux de bain en cuir de buffle. Nous sommes même allés jusqu’à gainer l’intérieur de chandeliers en cuir d’anguille.
J’ai aussi eu des demandes étonnantes, comme recouvrir l’intérieur de poids de gym tout en galuchat, le cuir de raie, extrêmement rare.
OBJECT OF DESIRE [Design Charlie Davidson].
LE PROCESSUS DE CREATION
Expliquez- nous en quoi consiste votre travail, quelles en sont les étapes ?
Je commence par des esquisses à la main qui sont soumises au client pour validation. Cette première étape peut parfois prendre du temps car nous explorons les attentes du client, jusqu’à ce qu’il soit pleinement satisfait. Ensuite, je commence le développement à proprement parler, c’est à dire la mise en œuvre d’un prototype qui valide le concept et permet de passer à l’étape de fabrication. Il arrive que pour certaines pièces, ou quand le client me laisse carte blanche, je me lance directement dans la création, sans filet.
LUMIERE & COULEURS
La couleur qui vous inspire le plus…
J’aime les couleurs vives et vibrantes. Instinctivement je dirais bleu… mais en fait, non. J’aime beaucoup le rouge, et le vert également.
Mais à vrai dire je ne sais pas si ce sont les couleurs que j’aime ou la lumière. Sans lumière, la couleur ne s’exprime pas de la même façon. En général, les gens préfèrent les couleurs neutres c’est à dire le noir, le blanc, ou parfois le gris… J’essaye de les orienter vers des couleurs qui évoquent le cuir naturel (brun) et les coloris aux pigments naturels.
« Pour un musicien qui vit à Notting Hill à Londres,
nous avons recouvert son bureau de travail en vert pistache
pour l’écritoire avec un cuir fuchsia pour l’intérieur. »
L’Atelier et la main experte, Damien créateur maroquinier.
LA DORURE
Parlez-nous du procédé de marquage du cuir à chaud et de dorure : Comment fait-on ?
- On dessine le motif de l’outil de marquage à chaud. Cet outil s’appelle « le timbre ».
- On fixe ensuite le timbre de frappe à chaud sur la presse.
- On amène le timbre à la bonne température (à environ 120°C). Chaque film de dorure réagit à une température différente.
- On positionne le morceau de cuir à l’endroit souhaité.
- On effectue le marquage à chaud avec un geste rapide et précis en intercalant un film à dorer.
LE SAVOIR-FAIRE
Qu’est-ce qui fait une belle pièce de maroquinerie ?
Je dirais que c’est le savoir faire qui s’exprime dans une belle pièce de maroquinerie. En voyant une belle pièce en cuir vous ressentez toute la passion du travail minutieux, appuyée par l’expérience et le talent. Le savoir faire français favorise le raffinement au quotidien. Par définition, la formation chez les Compagnons du devoir est particulièrement poussée car elle dure 7 ans et est très ardue. En France, nous avons la chance d’avoir une culture artisanal millénaire. Bien sûr les modes ont changé au cours de l’histoire, mais le niveau d’exigence s’est transmis, le savoir faire s’est affiné et affirmé et il infuse encore notre époque moderne.
LA PERLE RARE
La plus belle pièce de maroquinerie du monde à vos yeux ?
L’une des plus exceptionnelle qui m’a été donnée de voir : un sac de voyage calèche très ancien (début 1900) en crocodile, doublé en crocodile, très long de 90cm de large avec un fermoir docteur, couleur tan (camel). Cet objet avait vraiment quelque chose de très spécial… et il était oublié sur une étagère au centre de réparation de Louis Vuitton. Quand je l’ai vue, je n’en croyais pas mes yeux…
Encore, encore, encore ?
Pour aller plus loin
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